Après une première semaine marquée par la pétole, nous entamons le huitième jour de mer quand, vu que les batteries ont faim, je décide de démarrer le moteur juste avant de réveiller Tomtom pour qu’il prenne son quart. Manip habituelle, le démarreur tourne, mais c’est tout : Dédé le XUD boude et ne va pas plus loin. Deuxième tentative, tout aussi infructueuse : je décide d’aller chercher le Tomtom endormi pour qu’il aide la Clairette prête à se coucher à comprendre, avant de vider la batterie bêtement en tentatives vaines de démarrage.
Normalement, dans ces cas-là, il suffit que Tomtom débarque pour que Dédé cesse ses caprices. Mais pas cette fois…
Réflexe : on éteint tout ce qui consomme de l’électricité. On verra si on peut rallumer plus tard, si on a de l’énergie. Je me permets à ce propos un petit rappel, car ça n’a pas paru évident à tout le monde :
En navigation, il faut qu’on produise toute l’énergie qu’on consomme (jusque là, c’est simple). On produit, on stocke dans les batteries, on consomme.
Pour la production, on a :
- Lucifer le panneau solaire (le jour, il produit en moyenne 2-3 ampères en 12V, quand il fait beau)
- Irène l’éolienne : sa production dépend du vent apparent. On a déjà produit jusque 10-15 A, mais là, on navigue le vent dans le dos, donc on a très peu de vent apparent, et Irène, dans l’Atlantique, ne nous a pas agité beaucoup d’électrons.
- L’hydrogénérateur : lui on l’a rangé au fond d’un coffre, il fait trop de bruit et nous freine trop, donc on ne compte pas dessus. C’est dommage, au portant il nous permettrait de nous passer du moteur …
- L’alternateur du moteur : comme dans une voiture, quand le moteur tourne, on peut recharger une batterie (dans la voiture, celle qui va allumer les phares…) Ça consomme du gasoil, c’est bruyant, certes, mais c’est quand même le moyen le plus efficace et le plus puissant pour charger les batteries. En moyenne, on le fait tourner 1 à 2h tous les 24 à 48h.
Pour le stockage, on a :
- une batterie moteur (type voiture), qui sert juste à démarrer le moteur
- deux grosses batteries de servitude en parallèle, qu’on peut considérer comme une grosse batterie de servitude (2×130 Ah). Elle sert à alimenter tous les autres consommateurs d’énergie.
Et enfin, la consommation :
- consommation « Domestique » : éclairage, frigo (c’est un gros consommateur, lui), pompe à eau, prises 12V, autoradio…
- consommation « Navigation » : pilote automatique, ordinateur de bord, centrale NKE, feux de route et autres…
- consommation « Sécu » : GPS, VHF, BLU et pompes de cale.
Qui dit « plus de moteur » dit « quasiment plus d’énergie ». On voulait garder l’énergie pour les éléments vitaux : feux de route la nuit, GPS (2 minutes toutes les 4 heures pour noter la position), VHF si on en a besoin, ou bien si les batteries sont suffisamment rechargées (ça nous permet aussi d’entendre des appels de secours, et d’aider des gens en détresse, c’est pour ça que c’est bien de l’allumer même quand on n’en a pas besoin). Les loupiottes, c’est minimum minimum, la nav électronique, on oublie (heureusement, un bateau, c’est aussi fait pour naviguer à l’ancienne, avec un compas et des cartes), pour aller chercher la météo on va passer sur la BLU en mode réception seulement, car envoyer et recevoir des méls ça consomme énormément ! On éteint le frigo, vu que c’est un des gros consommateurs, on pompe l’eau des réservoirs avec la pompe à main… Ça reste tout à fait vivable, mais on se rend compte du confort qu’on avait, à boire du jus de fruits frais le matin, à se reposer sur l’ordinateur pour afficher la trace GPS, à appuyer sur un petit bouton pour afficher vent, température, vitesse, profondeur (ah non, profondeur, par 5000 mètres, on s’en fout)…
Côté frigo, on a quand même eu relativement de la chance. On a dû jeter une brique de lait, mais le beurre en route a tenu, le beurre en stock est en conserve (et oui, du beurre en conserve ! c’est bien pratique… du beurre salé, en plus !), les légumes frais étaient quasiment finis, les yaourts du Cap Vert se conservent plusieurs mois à température ambiante, le frigo est quasiment vide.
Mais revenons à Dédé. On a bien l’impression, au premier démontage, qu’il y a du gasoil dans le circuit, le démarreur tourne… Grâce à un super bouquin qui nous a été offert et qu’on recommande chaudement – le Boatowner’s Mechanical & Electrical Manual, de Nigel Calder – on a mis un peu d’ordre dans nos idées pour comprendre la panne. Le gasoil n’explose pas. C’est peut-être :
- que le gasoil n’arrive pas au moteur – ben on dirait bien que si (en tous cas, on en a mis plein sur les planchers, c’est déguelasse). On a même mal remonté, un soir, une jonction de durites, ce qui nous a valu 20 litres dans la cale moteur, qui, avec les mouvements de roulis, ont commencé à baigner les planchers : du bonheur quand on s’en aperçoit au petit matin en glissant sur ledit plancher.
- que le gasoil est de mauvaise qualité – ça serait étonnant, c’est le même gasoil qu’avant, et avant ça démarrait bien. On a quand même tout vidé le circuit et tout purgé avec du gasoil ‘neuf’ des jerricanes.
- que les injecteurs n’injectent pas – oui mais 4 injecteurs qui périssent en même temps c’est peu probable.
- que les bougies de préchauffage ne préchauffent pas – ah, on la tient, notre explication ! le boîtier de préchauffage est le seul truc électronique, or à la dernière charge batterie, j’ai mis un peu de « high voltage » sur l’alternateur en allumant le régulateur d’alternateur, ça a peut-être fait péter des trucs… Mais les bougies sont bien alimentées en 12V au préchauffage, elles ont l’air de chauffer un peu, mais pas beaucoup… On a même tenté un préchauffage au chalumeau, au cas où, mais il n’a pas daigné démarrer pour autant. Mais bon, un XUD, ça n’a pas besoin d’électronique compliquée pour démarrer, normalement, et si il y a du préchauffage, il ne doit pas y avoir de problème. Quand il fait 30°C, il devrait même pouvoir démarrer sans préchauffage, en forçant un peu sur le démarrage.
- qu’il y a un manque de compression – oui mais elle se faisait très bien avant, et en tournant le volant moteur à la main (enfin à la clé de 22 via la vis de la poulie de vilebrequin), Tomtom a bien l’impression qu’il y a de la compression, en tous cas au moins autant qu’avant.
- ah ? c’est toujours pas ça ? mais ça démarre toujours pas…
Tel Hercule Poirot (oui, je viens de lire un bouquin d’Agatha Christie), nous avons dû nous résigner à reprendre et vérifier toutes nos hypothèses. En attendant, on envisage la fin de la traversée sans énergie et l’arrivée au port sans moteur… ainsi que l’appel au secours d’un diéséliste une fois au port (ça, ça fait mal au moral de Tomtom).
C’est le moment d’ouvrir notre « lingot d’or », un cadeau d’un bateau ami du port de Lorient, emballé dans du papier doré, à n’ouvrir qu’au milieu de l’Atlantique. Plein de bonnes choses qui font plaisir et remontent le moral, à défaut de réparer le moteur : des bonbons, des spécialités bretonnes à manger (miam miam miam), un petit mot gentil, un fouet mécanique pour faire des gâteaux sans électricité, des p’tits jeux… Merci Gwi’Lu !!!
Un midi, Tomtom me réveille en me disant qu’il n’y a que 2 choses qui ont changé depuis le dernier démarrage : le high voltage du régulateur d’alternateur (mais bon, lui, on a tout fait pour comprendre en quoi il a pu faire sauter des trucs, on n’a pas trouvé) et le niveau de gasoil dans le réservoir. Et ceci d’autant plus qu’on a vidé 20 litres dans la cale… Or deux petites mesures montrent que le niveau bas du réservoir est un peu plus bas que le niveau de la pompe d’injection, et que du coup le manque de pression ‘gazolostatique’ peut peut-être jouer… Ni une ni deux, on vide dans le réservoir les 100 litres de gasoil qu’on a en stock, on purge (synonyme : on repeint encore l’intérieur du bateau au gasoil) et on tente de démarrer.
Echec. A force, la batterie de démarrage est de plus un peu fatiguée et ne veut plus rien savoir. On fait 3 tentatives sur la batterie de servitude, échec aussi.
Bon ben voilà, c’est mort, cette fois. Pour ne pas sombrer dans le désespoir, Tomtom a ressorti de derrière les fagots l’hydrogénérateur, a fabriqué une hélice maison en alu montée sur une tige filetée en inox, l’a fixée sur un long bout relié à l’alternateur de l’hydrogénérateur, et vive Mac Gyver : ça nous produit quelques ampères. Avec ça, on va pouvoir recharger un peu les batteries (surtout la batterie moteur qui est à plat et qu’il faut éviter de laisser dans cet état sous peine de détérioration), au moins pour pouvoir mettre la VHF en permanence et écouter RFI pour les bulletins météo.
Au passage, la météo marine semble être passée à la trappe dans les programmes de RFI … On capte très bien les émissions de RFI autour de 11h30 UTC, mais pas de météo marine sur aucune des fréquences officielles. On a du rater quelque-chose… Bon, ce n’est pas très grave, on s’adapte aux conditions : le vent est revenu et on avance bien !
On se tente également une dernière connexion BLU par mél, pour envoyer un message à la famille, en disant que plus de moteur = plus de messages jusqu’à l’arrivée, mais don’t worry on continue à avancer. Un grand merci à notre relais BLU belge, toujours aussi efficace, y compris dans notre situation de stress énergétique : la connexion a marché du premier coup.
Quelques jours plus tard, comme la batterie moteur est rechargée grâce à notre hydrogénérateur bricolé (qui affiche des performances moyennes meilleures que les hydrogénérateurs du catalogue AD, Tomtom est très fier), on retente un démarrage. Tomtom à la manette des gazs, Clairette près du capot moteur, pour écouter les bruits et éventuellement lancer des encouragements : « Allez Dédé vas-y tu peux le faire !! » Deux, trois démarrages, et Ropopom !!! Dédé est revenu !!
Ah, ben on est rassurés quand même.
C’était donc un problème d’arrivée de gasoil… Mais peut-être que le niveau du réservoir n’est pas le seul en cause, car, quelques jours plus tard, on a à nouveau eu du mal à démarrer, et ça a été vite réglé en purgeant les bulles d’air au niveau du filtre : faut qu’on regarde s’il n’y a pas une fuite par là… parce que mettre les mains dans le gasoil tous les 4 matins, c’est pas drôle !! A voir aux Antilles…
Vous l’aurez compris, cette semaine 2 a vu les deux navigateurs pépères se transformer en mécaniciens poisseux. Le reste du temps, Tomtom a bricolé l’hydrogénérateur (qui nous a sauvé notre 2ème partie de traversée, quand même), étanchéifié les rebords de la porte du frigo qui ne fermait en fait pas du tout hermétiquement (on compte donc sur une chute de consommation du frigo, maintenant), repositionné le condenseur du frigo pour qu’il soit mieux ventilé (pareil, on devrait consommer moins)… Mes bricolages à moi sont bien plus modestes (je ne sais pas comment il fait pour être au fond d’un coffre, ou se concentrer sur des trucs hyper précis à l’intérieur, dans la chaleur étouffante) : continuation de la réparation des sacs à bouts (pour les bouées) dont le tissu (de la toile à store) ne tient pas du tout le coup face aux UV, et la prise de mesure de tout ce beau monde pour refaire des sacs en sunbrella jaune, quand on pourra en acheter (aux Antilles sûrement) ; la conception d’un grand jeu de sur-housses pour les matelas à l’intérieur (les jolies housses en tissu rayé blanc et bleu sont 1. très salissantes sur les bandes blanches 2. difficiles à ôter et remettre et 3. pas faciles à nettoyer, donc je veux faire des sur-housses facilement lavables, voire même deux jeux de sur-housses pour pouvoir en changer au milieu d’une traversée de 3 semaines, quand ça commence à coller sous nos fesses suantes). Il ne reste plus qu’à faire les courses de tissu, de fil et d’élastique, et à coudre ! Un peu de couture de vêtements, et surtout de la lecture…
Côté navigation, on est passés tout près (une grosse centaine de mètres) d’une bouée ODAS – grosse bouée océanographique en plein milieu de l’Atlantique – d’où deux remarques :
- la carte papier a quand-même des avantages sur la carte électronique : les bouées ne sont pas indiquées sur l’ordi
- on ferait bien d’être un peu plus attentifs sur ce qui nous entoure : à force de ne voir que de l’eau, on devient moins concentrés…
Le vent, quant à lui, a molli, forci, remolli, reforci (force 5 un soir au près), tourné dans tous les sens, y compris du Nord-Ouest presque plus Ouest que Nord – eh oui, on a fait du près dans les Alizés…
et où qui va, tout le truc noir gluant? ne me dites rien, il est vrai que par 5000 m, les indigestions de Schnaps ne doivent pas être très conséquentes. Alors moi, le technique de l’histoire, je suis larguée, je reste juste admirative que vous parveniez à résoudre vos problèmes avec aucune autre assistance que vos méninges et vos mimines. En plus du magasin d’accastillage, vous pouvez aussi ajouter un atelier de mécanique en tout genre dans votre CV. Je suppose que Ste Lucie est déjà le théâtre de la révision de Schnaps. On patientera encore pour les images de votre visite de l’île. Pensez à vous reposer, celà va de soi.
déjà c’est ni noir ni gluant, et puis à ton avis avec quoi elles roulent, les voitures des pitipoissons, hein ? Ceux du golfe du Mexique y a pas de problème, mais ceux du milieu de l’Atlantique c’est pas la même histoire !!
Et voui, en effet, ça fait 1 semaine qu’on bosse sur le bateau, dont 5 jours au mouillage, on commence à en voir le bout … on n’a gonflé l’annexe que ce soir, c’est dire ! Mais on vous racontera tout ça dans un autre article …