Pour accoster en annexe à Portsmouth, on a le choix entre quelques pontons en bois, la plage (mais les gamins essaient de démarrer le moteur et mettent du sable dans l’annexe en notre absence), ou encore l’embouchure d’une rivière dont une des berges est aménagée pour les barques des pêcheurs. L’arrivée se fait à la rame par manque de fond, en surfant sur les petites vagues, ou même à moitié à pied à marée basse, le marnage avoisinant les 25 cm.
Lors de notre premier débarquement sur ce quai, nous avons été accueillis par Randall, un pêcheur, qui nous a conseillé d’accoster là, car nous avions prévu d’aller un peu plus loin : « Mais tu peux pas faire ça ici, man, y’a pas de fond, c’est pas l’Indian River ! » (je traduis, sauf le « man » qui ponctue toutes les phrases ici). S’ensuit une petite discussion, justement, l’Indian River… C’est une des attractions du coin, et pour rentabiliser notre « Eco-Tourism Pass » , on avait l’intention d’y aller. Randall nous a conseillé de nous faire accompagner par Cobra, the king of the Indian River, apparemment le meilleur guide pour cette excursion. Car l’Indian River, on ne peut pas y aller tous seuls comme des grands : on s’y fait emmener par un guide, sur sa petite barque, à la rame. Comme l’embouchure de l’Indian River se trouve dans Portsmouth, elle est très facile d’accès pour les touristes, et, par conséquent, nombreux sont les guides qui vivent de cette activité. A chaque fois que nous sommes passés sur le pont qui surplombe l’Indian River, nous nous sommes vus proposer une petite visite de l’Indian River, c’était un peu lourd d’ailleurs… Mais bon, c’est bien un des seuls endroits de la Dominique où nous nous sommes sentis considérés comme des « touristes ». Je reviendrai sur ce terme, « touristes », un peu plus loin.
Bref, nous, on voulait faire notre petit tour avec Cobra, mais le jour où on est passés, il enchaînait les visites de la rivière pour un gros ferry à touristes jusqu’à la nuit, donc comme on restait plusieurs jours, il est venu nous chercher au bateau le lendemain matin, tôt, ainsi qu’un partie de l’équipage du bateau voisin, tchèque (et pas n’importe quel bateau : une réplique à l’échelle – un peu – réduite d’un des bateaux de Magellan, construite par un navigateur tchèque, vous pouvez voir quelques photos ici). L’Indian River, c’est mieux de la visiter tôt le matin, ou en fin d’après-midi, à l’heure où les oiseaux sortent… A noter, depuis le début du voyage, nous n’avons jamais été aussi vite sur l’eau que sur le trajet Schnaps-Indian River : le moteur de Cobra poussé un peu dans les tours, ça décoiffe ! Mais tout change en arrivant sur place : fini le moteur, on passe à la rame. Tant mieux, c’est plus calme, on a plus de temps pour tout voir.
Et nous avons apprécié d’avoir notre guide, car l’Indian River c’est très joli, mais c’est encore mieux quand on nous explique tous les arbres, quand on nous montre les iguanes cachés, les crabes, les martin-pêcheurs, les hérons… Des manguiers, cocotiers, arbres à pain (apportés là pour nourrir les esclaves, ils font un gros fruit vert assez farineux, qu’on mange en légume. On en a cueilli un sur un chemin un peu plus tard, il y a effectivement de quoi manger… Pas très fort en goût, mais mélangé avec d’autres légumes et quelques herbes, c’est pas trop mal), des lianes à crabes, des fougères géantes… Toutes ces espèces nous ont été présentées en anglais, en allemand (pour que les tchèques aient une chance de plus de comprendre), en français (on n’avait pas besoin de ça pour comprendre la plupart des termes, mais j’avoue que « martin-pêcheur », je comprends mieux en français qu’en anglais), parfois en espagnol on ne sait pas trop pourquoi, et enfin, leur petit nom latin nous a été offert, avec un petit accent anglais rasta qui change du latin écrit en italique dans les livres et jamais prononcé !
Cobra, notre guide, était très sympa, il nous a vraiment appris des tas de choses. On a un peu sympathisé avec lui aussi, il nous a indiqué où aller traîner nos palmes quand il nous a entendu parler d’une sortie petits poissons et corail pour l’après-midi… Un conseil donné naturellement, un peu comme tous les Dominicains l’auraient fait, d’ailleurs.
C’est un des grands charmes de ce pays : les habitants. Le tourisme n’est pas très développé, c’est peut-être une des raisons qui fait qu’on est accueillis aussi gentiment. Bien sûr, on a toujours notre peau blanche qui indique que nous sommes là de passage, notre accent qui trahit notre provenance, mais, contrairement à de nombreux pays où ces critères suffisent à nous ranger dans une catégorie unique « touriste qui va laisser plein de sous sur place en achetant des bibelots », nous avons apprécié la relation avec les locaux. Quand on croise quelqu’un, ici, on dit bonjour, on papote un peu, tous nous demandent si on se plait ici (oh que oui !!!), nous quittent sur un « Take care » et un petit conseil, c’est tellement agréable…
Ils sont vraiment tous prêts à rendre service, on sent qu’ils sont heureux qu’on vienne visiter leur pays, et ça nous fait plaisir.
Par ailleurs, l’ambiance est assez décontractée. Tout le monde plaisante, il n’y a pas une conversation sans qu’un rire éclate, pour une raison ou pour une autre. Ils ont envie de sympathiser, tel le bonhomme qui est venu papoter avec moi quand j’attendais Tomtom, parti retirer des sous à la banque :
« Hello ! How are you ? Do you enjoy Dominica ? […] You seem very strong… I’d like to be connected with you… I’m sure that a connection between you and me would be very nice, you would appreciate it…
– But you know, I’m already connected to someone !
– Are you sure ?
– Bé oui ! I’m really sure…
– But you know, two men that’s not too much for a woman, because when the first guy is tired, the second one is still fit ! Think about it, we may meet again if you stay a few days ! »
Je résume, hein, parce que ça a duré 5 minutes, 5 minutes pendant lesquelles j’ai bien rigolé !
En faisant nos courses de légumes, nous avons sympathisé avec Christine, la vendeuse :
« Which pineapple do you want ?
– Well, the biggest one…
– Women always prefer the big ones ! And this is for you, it’s a golden apple, you should taste it, it’s very sweet.
– Thanks !
– I do that because I want you to come back ! »* (bon, elle a gagné, on est revenus faire nos courses de fruits et légumes, et on lui a aussi laissé notre lessive).
Nous avons également eu l’occasion de pas mal discuter avec le vendeur du gaz, Northern Gaz Supplies, Hilsborough Street (dans le centre). On voulait faire remplir nos Cubes de gaz, mais les Cubes ont des embouts spéciaux… qui ressemblent drôlement aux embouts en vigueur dans les Caraïbes, on a découvert ça grâce à notre bonhomme, qui les a envoyées pour nous se faire remplir à l’usine. Apparemment, les embouts n’ont pas de valve anti-retour, ça sera encore à étudier, mais on a 6 mois devant nous avant d’avoir encore à les remplir ! Comme il pleuvait à verse (non mais franchement, on a réussi à faire exploser une trappe de visite de nos réservoirs d’eau avec toute cette pluie, vous y croyez, vous ?), on est restés discuter avec lui sous son toit grandement apprécié… Il est en train de faire construire un gros quai pour les pêcheurs, apparemment il y aura pas mal de services associés, y compris pour les voiliers, avis aux futurs voyageurs. Enfin on n’est pas sûrs d’avoir tout compris, on y retournera dans quelques années pour voir… et revoir la Dominique, c’était tellement bien !!
C’est aussi une caractéristique des Dominicains : ils sont actifs. Ils construisent des choses, ils travaillent, le tout dans la bonne humeur. Autant, au Cap Vert, on avait l’impression que les Cap-Verdiens, pour la plupart, attendaient que le ciel (ou autre chose de plus sympathique) leur tombe sur la tête, autant, ici, on sent que tous travaillent et s’activent pour gagner leur vie. Le pays est pauvre, mais pas miséreux. Tomtom a lu quelque part « Dominica is a country where nobody starves »**, et c’est vrai, il y a tellement de fruits et de légumes qui poussent naturellement ! Peut-être est-ce l’absence de cette contrainte (gagner assez d’argent pour se nourrir) qui libère l’esprit des Dominicains et les rend si tranquilles…
Je voulais terminer par une petite anecdote. Un jour où nous rejoignions, après une bonne rando, notre petite Axe sur un ponton, nous avons été interpellés par un couple de blancs adipeux installés sur la barque de Cobra (Cobra ne fait pas que l’Indian River, il fait des tas de choses pour les voiliers aussi), qui nous ont sommés de nous arrêter. Soit. Cobra avait l’air fatigué (ce n’est pourtant pas son genre), et nos deux désagréables bedonnants nous ont posé cette question : « Are you tourists ? » Hein ? Devant notre perplexité, ils nous ont demandé si on causait anglais. Oui, et on a même compris la question, mais on est un peu décontenancés par le terme « tourists ». Non, on ne se considère pas comme des « tourists ». On découvre, on apprécie, on visite, mais on n’est pas des touristes, surtout si cela sous-entendrait l’aveu d’un quelconque point commun entre vous et nous. Bon ça, on l’a gardé pour nous, pendant que les « touristes » nous demandaient dans quel hôtel on logeait, car apparemment c’est ce qu’ils recherchaient : un hôtel. Mais les conseils de Cobra et de ses potes sur le ponton ne semblaient pas leur convenir, on sentait la méfiance envers le local, le stress du touriste qui a peur de se faire arnaquer se lisait sur les traits de leurs visages… Du coup, j’ai répondu qu’ils feraient mieux de demander à Cobra, qu’il connaîtrait sûrement un hôtel, et Tomtom a ajouté « You can trust him »***. En plus, franchement, non, on ne connaît pas d’hôtel : on dort à bord. Et on a papoté avec Cobra de nos dernières balades dans les montagnes… Quel dommage, d’arriver avec un tel a priori, quel affront pour les Dominicains, alors que la très grande majorité d’entre eux est digne de confiance…
* »Quel ananas tu veux ?
– Oh, le plus gros…
– Les femmes préfèrent toujours les plus gros… Tiens, et prends ça, ce sont des golden apple, tu goûteras. Non, non, c’est gratuit !!
– Merci !
– Ah, c’est pas la peine de remercier, c’est parce que j’ai envie que vous reveniez ! »
** La Dominique est un pays où personne ne meurt de faim. On ne peut pas s’empêcher d’écrire un peu en anglais, à force de causer anglais ici… Mais on a peut-être, parmi nos lecteurs, des personnes peu anglophones, alors de temps en temps, j’essaie aussi de traduire !
*** Vous pouvez lui faire confiance
Ca fait très plaisir de lire des articles comme ça !!
Vous avez vraiment l’air contents de ce que vous avez découvert ici, surtout humainement parlant !
J’espère que cela continuera comme ça et que vous ferez d’autres rencontres enrichissantes !! (bien sûr je ne parle pas des 2 touristes…..)
Bisous
Et ben ça fait plaisir aussi de lire des commentaires comme ça !! Merci Gnègnès !
C’est top des escales comme ça, de partager quelques moments avec ces gens qui savent goûter la vie et la rendre si savoureuse !
La plupart des Français de métropole feraient bien de prendre exemple sur eux pour beaucoup de choses :-).
Gros bisous à tous les deux, et je vous souhaite encore des dizaines de rencontres comme celles que vous décrivez.