Un petit article culture…
La plus grosse activité économique des Gambier, c’est la perliculture. Avant, quand on me parlait de perles, je pensais aux colliers de perles blanches que, franchement, je ne trouve pas exceptionnellement jolis, un rang de billes blanches autour du cou, bof, rien qui ne me fasse envie. Mais ici, j’ai découvert les perles noires…
En fait elles ne sont pas noires, elles ont toutes des couleurs différentes : grises, noires aux reflets verts, roses, bleues, et même des blanches (ou plutôt champagne, dorées, crème) quand les nacres d’origine sont albinos. Elles ne sont même pas toutes rondes : il y en a en forme de goutte, ou avec de petites excroissances, des cerclées, des bizarroïdes, des presque rondes mais pas vraiment, et même des petites crottes qu’on appelle plus poétiquement des keishi, des perles naturelles qui se sont formées sans « nucléus ».
Mais c’est quoi un nucléus ? Finalement, le mieux, c’est d’aller visiter une ferme perlière, pour comprendre tout ça… On vous emmène donc chez Dominique, qui nous a ouvert plusieurs fois les portes de sa ferme, grâce à Hélène qui a organisé l’expédition. Nous y sommes allés une première fois avec un groupe de voileux français, et nous avons appris des tas de choses. Nous y sommes retournés un peu plus tard pour jouer aux interprètes avec un groupe de voileux suédois, norvégiens, anglais-écossais, et Dominique nous a encore raconté la vie des perles en long, en large et en travers, rien que des choses passionnantes, et encore et toujours des informations nouvelles… C’est grâce à lui que nous pouvons vous écrire cet article, alors Maro’i Dominique !!
Pour commencer, il faut des nacres. Aux Gambier, il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des nacres, enfin presque : ça pousse tout seul, même sur les coques des bateaux en quelques semaines ! Les fermes perlières disposent des « collecteurs » dans le lagon – imaginez le fruit d’un plumeau accouplé avec une corde, suspendu à une bouée, sur lequel des nacres s’accrochent et commencent à pousser. Les nacres sont alors détachées des collecteurs (c’est le « détrocage ») et triées par taille (la taille est directement corrélée à l’âge de la bête), nettoyées puis accrochées soit à des cordages si elles sont encore petites, soit à de grandes grilles. Et puis on les laisse grandir tranquillement, en les sortant de l’eau régulièrement pour les nettoyer, les changer de support si nécessaire, les bichonner, leur faciliter la croissance… Ces soins seront continus tout au long de la vie des nacres : tous les mois quand elles sont toutes jeunes ou vieillissantes, tous les trois mois quand elles sont dans la force de l’âge, elles ont droit à leur séance de nettoyage.
Lorsque la nacre a une taille greffable, elle est alors entrouverte, et tel un dentiste, le greffeur passe un mini-miroir dans l’ouverture pour observer les couleurs de la nacre qu’elle produit. Si les couleurs ont l’air belles, couic, la nacre est toute ouverte et on découpe son manteau, dans lequel se trouvent les cellules productrices de nacre, pour la découper en tout petits morceaux qui serviront de greffons. Si les couleurs sont simplement normales, la nacre est conservée pour être greffée. Là commencent des gestes délicats, qui demandent beaucoup de précision, de concentration, et d’expérience :
- le greffeur (ou la greffeuse, on a surtout vu des greffeuses), toujours équipé tel un dentiste, incise un chemin assez long pour atteindre la glande reproductrice
- il pousse ensuite un petit greffon vers la glande, via le chemin qu’il vient de découper, avec un outil encore différent mais toujours de nature à effrayer les enfants inquiets pour leurs quenottes
- et pour finir, il pousse un nucléus jusque dans la glande, tout contre le greffon.
Le positionnement du nucleus et du greffon est primordial pour la réussite de la greffe : les risques sont que la nacre rejette la greffe, ou qu’elle meure, et si la greffe prend, que la perle n’ait pas la forme recherchée. Les meilleurs greffeurs obtiennent des taux de survie après greffe de 98%, mais cela leur prend des années pour arriver à cette performance !
Le nucléus, c’est une petite bille faite en coquillage du Mississipi, enrobée d’une crème d’antibiotiques pour favoriser la prise de la greffe. La nacre, si elle accepte la greffe, va isoler cet intrus du reste de son corps en l’enrobant de nacre, la matière qu’elle produit pour agrandir sa coquille. Sauf que, comme on lui a donné un greffon, elle va – si tout va bien – utiliser les cellules de ce greffon pour enrober la perle, et donc lui donner les couleurs que l’on a sélectionnées auparavant.
La nacre est remise à l’eau le plus vite possible après la greffe. Entre le moment où elle est sortie de l’eau et le moment où elle y retourne, on peut au maximum laisser passer une demi-journée, mais moins elle reste à l’air et mieux c’est.
S’ensuit alors une période de croissance tranquille de 18 mois, ponctuée par les lavages et autres petits soins. L’environnement dans lequel les nacres grandissent joue beaucoup sur la qualité des perles : une eau froide donnera des couleurs plus brillantes qu’une eau chaude par exemple, c’est pour cela que les perles des Gambier sont très réputées, plus que celles des Tuamotu où l’eau est un peu plus chaude, et c’est pour cela aussi que la récolte a lieu en hiver, lorsque l’eau est trop froide pour qu’un Tomtom s’y baigne sans pousser des « hou elle est froide, je suis sûr qu’elle est à moins de 23°C ! ». La qualité de l’eau influence également la qualité de la perle : au pied d’une vallée, les sédiments charriés par la pluie vers la mer sont apparemment pleins de bonnes choses pour les nacres.
A la récolte, la perle est extraite de la nacre, mesurée, et on insère dans la glande un nucléus de la taille de la perle extraite, avant de remettre la nacre à l’eau pour une nouvelle période de croissance. On peut faire jusqu’à deux sur-greffes sur une nacre, mais lorsque la nacre devient trop vieille, elle ne croit plus aussi vite que dans sa jeunesse, elle a besoin de plus de soins, et surtout, l’éclat des perles est moins beau. Les perles de grande taille très brillantes sont très rares, c’est pour cela qu’elles sont si chères…
Vient alors le moment de trier les perles. Elles sont triées par taille, par forme (rondes, semi-rondes, baroques, cerclées, rebuts), par couleur (cela inclut autant la brillance que les reflets), le nombre de défauts (un petit spot n’est pas bien gênant : au montage de la perle, on peut se débrouiller pour le cacher, mais s’il y en a de tous les côtés ça commence à se corser), ce qui donne au final un très grand nombre de catégories. Ce tri va permettre de constituer des lots, qui seront vendus aux enchères, en général au Japon, et parfois quand les Mangaréviens s’amusent à inventer de nouvelles façons de les vendre, les Japonais se déplacent à Tahiti…
Les prix varient énormément en fonction de chaque critère. Pour donner un exemple, Dominique nous a montré des perles de tailles identiques, au nombre de défauts équivalents, de forme équivalentes : seules les couleurs changeaient. Les ordres de prix varient du simple au double en fonction de la couleur : les perles bleues-vertes sont en première place, suivies des vertes, et valent le double des perles grises, un peu plus claires. Entre deux, on trouve des perles roses, et toutes sortes de reflets.
La perle la mieux vendue au Japon reste la ronde sans défauts, l’objectif des perliculteurs est donc d’en faire un maximum, mais il reste encore beaucoup d’énigmes dans la formation des perles : qu’est-ce qui fait qu’une perle sera cerclée ? qu’est-ce qui fait qu’elle aura une forme de goutte ? comment s’assurer de la couleur exacte de la perle ? (parce que la couleur ne dépend pas que du greffon, la nacre réceptrice apporte son grain de sel …)
Toutes ces perles sont vraiment fascinantes. Même au sein d’un lot de perles triées, même dans une catégorie D (la catégorie juste avant les « rebuts »), on trouve des perles d’un éclat troublant, de couleurs absolument différentes, de formes variées, et s’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est cette variété.
Et ensuite… il ne reste plus qu’à monter ces perles, au goût de ces dames, en collier, en pendentif, en boucles d’oreilles, en bague, en bracelets… Et les perles les moins jolies se retrouveront dans des colliers de pupu (« poupou »), coquillage spécifique aux Gambier, offert en l’honneur d’une fête ou, pour nous, d’un départ.
moi, je trouve le collier de pupu très charmant et l’exposé passionnant, encore une belle histoire à ajouter à la culture de vos souvenirs de voyage.
Et oui, le collier de pupu est tout joli… encore plus quand il nous rappelle les amis qui nous l’ont offert !
Merci pour cet article, je suis d’accord avec Claire les perles noires sont beaucoup plus attirantes que les blanches. Un sacré travail qui mérite d’être connu pour les apprécier encore plus.
Nous vous espérons en bonne forme.
Bonne continuation.
Trés jolies perles que je connait bien , j’ai une copine qui en cultive et qui est styliste de perle , mais la visite guidée et le recit sont trés intérressant , on aimerait bien être là bas aussi avec vous
gros bisous
Moi aussi j’aimerais bien que tu sois là avec nous, pardi !!