Comme les récents commentaires de notre article sur les feux à LEDs le montrent, l’engouement pour les applications nautico-domestiques de ces morceaux de silicium luminogènes que sont les diodes électro-luminescentes n’en finit pas de grandir.
Pour satisfaire la curiosité des plus mordus d’électronique de nos lecteurs, voici le résultat de mes réflexions et bricolages, effectués principalement durant notre transat. Eh oui, faut bien s’occuper à bord (et prévoir un bon support pour le fer à souder qui, sinon, profite du moindre coup de roulis pour s’envoler et atterrir sur des petits doigts potelés !) pendant les longues traversées.
Cahier des charges
Avant tout, il faut commencer par réfléchir à la façon dont on veut que le système fonctionne et penser à un bref cahier des charges que l’on pourra rédiger à posteriori quand on fera l’article correspondant sur le blog (comment ça c’est pas comme ça qu’il faut faire ??) :
- Eclairage suffisant pour remplacer les lampes actuelles (10W incandescentes)
- Conception robuste (i.e. il faut éviter que les LEDs claquent tous les 4 matins ou à chaque fois qu’on charge la batterie à 14.6 V grâce au régulateur d’alternateur)
- Utilisation des anciens boîtiers des lampes incandescentes (notamment les boîtiers qui s’allument en tournant la loupiotte) parce que c’est pratique
- Eclairage blanc « chaud » commutable en rouge pour les nuits en nav’, au moins pour le cockpit et la cabine arrière / table à cartes
- Variateurs d’intensité lumineuse pour le rouge et le blanc
- Séparation en zones pour le réglage de la couleur et du variateur
- Interface possible avec un détecteur de mouvement ou un programmateur pour simuler une présence à bord, ou même un interrupteur « urgence » pour tout allumer plein pot en cas de pépin à bord la nuit
On va arrêter là, ça fait déjà beaucoup ! C’est un peu mon problème, quand je sais que c’est possible et pas trop compliqué de faire quelque chose de mieux que juste un bête interrupteur pour allumer des loupiottes, je le fais !
Nous avons décidé de séparer le bateau en 4 zones : le cockpit, la cabine arrière et toilettes, le carré, et la cabine avant. Ceci afin de ne pas avoir à courir à l’autre bout du bateau quand on veut changer la luminosité ou la couleur d’une part, mais aussi pour avoir des réglages indépendants entre celui qui bouquine dans la cockpit et celui qui fait la route à la table à cartes.
Chaque loupiotte devra bien sûr pouvoir s’allumer ou s’éteindre indépendamment, et suivre le réglage déterminé par un petit boîtier judicieusement placé qui pilote l’intensité lumineuse via un potentiomètre, et la couleur via un inverseur. Le boîtier pour le cockpit est un peu plus compliqué car il comprend deux interrupteurs 3 positions : un ON-OFF-ON qui permet d’allumer soit en blanc, soit en rouge, soit de tout éteindre, et un autre ON-ON-ON (en fait ON-OFF-ON avec 2 MOSFETs de commutation) pour allumer soit la loupiotte bâbord, soit la tribord, soit les deux (histoire d’économiser encore de l’énergie et d’éviter d’embêter outre-mesure celui qui dort dans la couchette arrière quand on lit sur le banc de cockpit tribord la nuit et qu’on n’a pas besoin de lumière à bâbord).
Conception
Avant de se lancer dans la conception des modules d’éclairage, qui trouveront leur place dans les anciens boîtiers, il faut réfléchir à comment on va commander et alimenter tout le bazar. Je vous passe les étapes de réflexion, voici le schéma final, conservant les câbles d’alimentation existants pour l’alimentation « puissance » utilisant un câble 4 conducteurs de type téléphonique pour la communication entre les loupiottes d’une zone :
Ce n’est – finalement – pas très compliqué : on veut éviter que le module de commande soit alimenté en permanence même si aucune lumière n’est allumée, donc on n’alimente celui-ci que lorsqu’au moins une loupiotte est allumée via le câble jaune « alim ». On veut que le module de commande puisse allumer toutes les lumières de la zone quel que soit l’état de l’interrupteur, donc on prévoit un câble pour dire aux loupiottes : « allume-toi », c’est le câble vert « zone on ». On veut aussi pouvoir envoyer le signal « couleur » et « intensité », on prévoit donc deux câbles, un pour le rouge et un pour le blanc, chacun transmettant un signal carré de rapport cyclique variable pour faire clignoter très vite les LEDs (voir l’article sur les feux à LEDs).
On veut aussi que le détecteur de mouvement placé à l’extérieur ou le programmateur puisse envoyer des ordres au module de commande de la zone : soit « allume toi au niveau de luminosité atténuée déterminé par l’utilisateur », soit « allume toi à 100% de luminosité ». Ça nous fait 2 câbles pour le signal d’entrée. Les câbles restants concernent l’alimentation et la masse.
Schémas électriques
Il faut donc, pour nos modules drivers/LEDs, prévoir 3 entrées « données » à haute impédance d’entrée (c’est à dire consommant très peu de courant) ainsi que l’alimentation de puissance (tout est relatif, on parle de 2 à 3 W grand max !) qui existe déjà. Voici le schéma pour une loupiotte à 3 groupes de 3 LEDs blanches et un groupe de 5 LEDs rouges (le même schéma peut être utilisé pour alimenter plus de LEDs, il suffit de multiplier le nombre de ‘drivers’ et de les brancher en dérivation, rien ne change au niveau commande si ce n’est qu’il faut faire attention à maintenir la même tension aux bornes des résistances variables de commande de l’intensité et donc à adapter R1 et R2 en fonction du nombre d’étages de commande) :
Et voici le schéma d’un module de commande :
Pour les lampes de cockpit, un module de commande un légèrement modifié est utilisé, car les lampes étant à l’extérieur, j’ai préféré ne pas les doter d’interrupteurs indépendants et tout regrouper sur le boîtier variateur. La commutation des lampes bâbord et tribord est confiée à deux MOSFETs (une fois qu’on a compris comment ça marche et les possibilités offertes par ce type de transistor on a tendance à en mettre partout de ces bidules magiques).
Réalisation
C’est pas tout ça, mais maintenant que ça fonctionne en théorie, il faut passer à la fabrication. Par souci de rationalisation de la main d’œuvre qualifiée (en l’occurrence moi) qui n’a pas que ça à faire de dessiner des circuits imprimés un par un, et comme ça ne représentait pas un gros investissement ni travail supplémentaire de monter quelques composants en plus – là ça concerne la main d’œuvre un peu moins qualifiée, mais toujours moi – j’ai décidé d’équiper tout le bateau avec une commutation rouge/blanc, même si l’utilité est à peu près nulle pour la cabine avant et discutable pour le carré à part pour impressionner les inviter ou jouer au petit diablotin avec les peluches mais je m’égare.
L’approvisionnement en bonnes quantités de LEDs (il en a fallu presque 300 pour tout le bateau en comptant un peu de rab) se fait sur ebay (je vous recommande jledhk qui propose de très bons produits à des prix compétitifs). Tous les autres composants se trouvent à prix raisonnable chez n’importe quel fournisseur d’électronique (mais surtout pas Conrad, ces ahuris-là me doivent toujours un oscilloscope numérique USB ainsi qu’une carte mère d’ordinateur portable).
Les typons sont insolés et gravés un peu laborieusement parce que ça fait longtemps que je n’ai pas fait ça et que je ne me souviens plus de combien de temps il faut laisser les circuits dans l’insoleuse et du coup la gravure bouffe tout le cuivre. Des fois il y a des journées « moins » dans la préparation d’un bateau, celle-là c’en était une … Les typons étaient quand même tous prêts au moment de notre départ de Lorient en juillet 2010. Plus qu’à trouver un moment pour assembler tout ça. Il y a en général deux CI par loupiotte : le ‘driver’ et la platine où sont soudées les LEDs, à cause du manque de place dans les boîtiers d’une part mais aussi pour faciliter le montage, les tests et l’isolation des problèmes.
C’est donc pendant la traversée de l’Atlantique, portés par des Alizés pas très musclés ni réguliers que je me suis attelé à l’assemblage de tout ça, fatigué de devoir restreindre l’utilisation des lumières du bord à cause de la consommation électrique des lampes à incandescence, et aussi de devoir lire dans le cockpit à la frontale. J’ai quand même été perturbé dans mon bricolage … par des soucis de moteur qui nous empêchaient de recharger les batteries et donc d’utiliser le fer à souder !
Pour les lampes intérieur, comme je l’ai dit, j’ai réutilisé les boîtiers et interrupteurs existants, mais pour les lampes extérieures, rien n’existait donc j’ai dû inventer, grâce à du matériel d’aquariophilie : tubes de plexiglas, bouchons PVC pour les extrémités, mastic silicone et presse-étoupe et le tour était joué !
Réglages et tests
Une fois les modules fabriqués, il faut régler précisément – grâce aux résistances ajustables de chaque ‘driver’ – l’intensité maximale qui traversera les groupes de LEDs montées en série (les LEDs blanches par trois, les rouges par cinq en raison de leurs chutes de tension différentes), en fonction des données de fabrication. Pour ça il faut alimenter l’entrée de commande « blanche » ou « rouge » par la tension maximale du signal carré de commande, et régler la résistance en surveillant l’intensité traversant les LEDs. Ce réglage est important car si l’intensité est trop forte, la durée de vie des LEDs est drastiquement réduite, et si elle est trop faible c’est le rendement qui en prend un coup. Le réglage est différent pour chaque driver en raison des disparités entre les composants du module. C’est long, fastidieux, mais nécessaire.
Ensuite, il faut passer les câbles de commande, mais comme dans Schnaps tout est démontable sans trop de problème ça n’a pas été trop compliqué. Puis vient le montage proprement dit et les tests, satisfaction parce que ça marche, puis démontage 2 jours plus tard parce que ça clignote au rythme des mouvements du bateau pour constater qu’il y a une soudure oubliée, là, ou une soudure froide, ici, et se dire que faire de la soudure de composants électroniques en pleine mer c’est quand même pas idéal niveau qualité de la réalisation ). Enfin bref, après quelques aléas, tout fonctionne et on peut même désormais se permettre d’oublier d’éteindre la lumière sans que ça fasse trop mal aux batteries.
Problèmes et améliorations à prévoir
Outre les faux contacts dus aux soudures mal faites ou pas faites du tout notamment dues aux conditions de réalisations instables, le principal problème rencontré et dont je ne m’étais pas aperçu lors de mes tests sur plaques d’essai est que, même lorsque la commande « allumage loupiotte » (l’alimentation de l’ampli-op) n’est pas à « 1 logique » et laissées flottantes, les LEDs sont parcourues par un courant de quelques µA et sont très faiblement allumées. Mon perfectionnisme ne pouvant pas supporter ça, j’ai dû ajouter une mise à la masse – éventuellement partielle via une résistance de 1kohm qui, du coup, gaspille quelques mA lorsque la lampe est allumée mais tant pis – de l’entrée de commande d’allumage lorsque la lampe est éteinte. Ce problème doit probablement pouvoir se résoudre en utilisant des meilleurs ampli-ops dont le courant de fuite serait plus faible, mais sans plus d’investigations ni essais je ne peux pas me prononcer. Si jamais je dois repenser tout ça, je ferai attention à ce point.
En attendant, il faut faire attention à ne pas trop regarder les loupiottes « les yeux dans les yeux », car le champ de vision a tendance à être légèrement modifié après avoir regardé plus de 2 secondes une des loupiottes de cockpit de Schnaps, consommant la modique intensité de 0.5 A :
Oui, d’accord, quoi dire pour un travail comme-ça ? A classer soigneusement, peut-être un jour…Pour le moment, je n’arrive même pas à me mettre à la conception de quelques LEDs dans le van. J’attendrai alors le pilotage automatique des voitures sur l’autoroute pour profiter aussi des ‘traversées’.
Merci pour la superdémo !