Ceci est un article que j’aurais pu écrire il y a des années. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi je ne l’ai pas écrit plus tôt. Ça changera des articles sur le refit de Schnaps…
Quand on a commencé à parler de naviguer autour du monde, j’ai fait un déni total du risque que représentait le mal de mer. Ce qui n’est pas très malin me connaissant, vu comment j’ai eu le mal des transports petite, vu que ce n’est pas complètement passé à l’âge adulte… C’était peut-être la solution la plus simple, qui au moins a évité de remettre en question le projet avant qu’il ne soit un peu tard pour tout abandonner.
On est partis, et j’ai vomi. Beaucoup. J’essayais de ne pas me plaindre, de surveiller le bateau de temps à autre pour que Tomtom puisse se reposer, mais c’était dur. Pour moi physiquement et moralement (c’est assez désagréable de vomir, de n’avoir aucune force, de se rendre compte qu’on est bonne à rien avec un mal de mer) et pour Tomtom moralement et physiquement (je suis quand même moins drôle quand je suis malade, il devait assumer toutes les responsabilités et 90% des quarts).
À Madère, il a bien fallu affronter la question : est-ce qu’on continue, sachant que les traversées sont très dures pour nous deux, ou est-ce qu’on arrête les frais ? Les escales étant plutôt agréables et ne voulant pas lâcher un projet pour lequel on avait tant donné, et qui était si important pour nous, j’ai contacté Jeanne, une amie d’un ami, qui venait de terminer un tour de l’Atlantique à la voile et qui avait elle aussi dû gérer un mal de mer carabiné. J’ai bien fait : sans avoir de recette miracle à m’offrir, Jeanne m’a donné le courage de trouver des solutions et de continuer. Elle m’a promis que ça en valait la peine, elle m’a dit que si c’était à refaire, même avec le mal de mer, elle le referait.
On trouve sur internet des tas de recettes pour lutter contre le mal de mer, des plus sensées aux plus bizarres (boire une tasse d’eau de mer, non, je n’ai jamais essayé). C’est mon tour de partager ce qui marche pour moi, au cas où ça marcherait pour d’autres.
Qu’est-ce qui crée le mal de mer ?
Mon côté scientifique s’accommode bien mieux d’un dysfonctionnement physique quand je sais ce qui se passe dans mon corps que quand ce qui s’y passe est incompréhensible. L’explication la plus convaincante que j’aie trouvée c’est que lorsqu’on navigue, l’oreille interne envoie au cerveau des informations liées aux mouvements qu’elle détecte avec les changements de gravité, d’inertie, de direction, d’orientation. Le regard, lui, se base sur l’environnement proche, le bateau, et estime que les mouvements sont bien moindres. Même en regardant dehors, le cerveau prend en compte le cadre du hublot qui ne bouge pas trop, le mât qui reste immobile par rapport au corps. Le cerveau doit gérer des informations contradictoires : l’oreille interne annonce que ça secoue dans le référentiel terrestre, les yeux considèrent qu’on bouge modérément dans le référentiel du bateau. Le cerveau n’aime pas beaucoup ça, même s’il est capable de comprendre le concept de différents référentiels (en théorie). Plutôt que d’accepter l’irrationnel, il annonce au corps « Branle-bas de combat, on essaie de nous empoisonner, évacue tout ce que tu as ingurgité ! »
Ce qu’on ressent quand on a le mal de mer
Le premier symptôme, c’est la perte de volonté. Envie de rien, la déprime, plus de courage pour quoi que ce soit, même prendre une veste pour ne pas avoir froid. Certaines personnes parlent d’une envie de mourir, mais je ne suis pas du tout d’accord : pour ça, il faudrait pouvoir avoir envie de quelque chose. Le problème de ce symptôme, c’est qu’il empêche de faire quoi que ce soit pour enrayer l’arrivée du mal de mer, donc il faut être capable de se rendre compte de ce qui se passe avant qu’il ne soit trop tard. Ça vient avec la pratique…
Ensuite vient l’expulsion de la nourriture soi-disant empoisonnée. Patraque, envie de vomir, jusqu’aux vomissements. Répétés même quand il n’y a plus rien dans l’estomac (et c’est douloureux). Encore moins glamour, plus odorante mais un peu moins douloureuse, l’expulsion par les voies inférieures. Difficile de se motiver à aller aux toilettes et à enlever les multiples couches qui constituent la tenue de nav, mais l’expérience montre qu’il vaut mieux y aller sans traîner, sous peine de se retrouver aux toilettes avec une bassine pour jongler avec des expulsions simultanées. Chaque expulsion, violente, est suivie d’un petit moment de répit, ça va mieux, ouf.
Ce qu’on peut faire pour gérer le mal de mer
Ou en tous cas, ce qui marche pour moi, pour limiter les dégâts.
Les remèdes psychologiques
Si les symptômes du mal de mer sont clairement physiques, il est indéniable que l’aspect psychologique peut éviter d’être malade, ou au contraire, garantir l’épisode vomi dans le seau.
S’il fait beau, si les conditions sont favorables, si la vie est belle, le risque d’être malade est bien plus faible que s’il pleut, si les vagues et le vent secouent, si on a une dent contre le capitaine.
Quand on est trop occupé pour ne serait-ce que penser qu’éventuellement on va peut-être avoir le mal de mer, le cerveau n’a pas de ressources à allouer à la compréhension des signaux contradictoires. Et tant mieux. Je n’ai vu Tomtom malade qu’une fois : quand on avait des amis à bord qui étaient plus que compétents pour s’occuper du bateau. Il pouvait se permettre de passer la main, alors que s’il n’y a personne pour prendre la relève au poste « responsable du bateau et de l’équipage », quand je suis déjà occupée à remplir des seaux de vomi, il tient bien le coup.
Mon « truc » imparable pour occuper mon cerveau, c’est de prendre la barre. On oublie le pilote automatique, il faut m’occuper et c’est plus important, donc je prends la barre, bien couverte pour ne pas avoir froid, au tout début des premiers symptômes « ouh j’ai la flemme », tant que c’est facile de combattre juste une flemme. Ça marche du tonnerre : j’ai l’esprit occupé, je suis responsable du bateau, je vois où on va, j’anticipe les mouvements des vagues. Ça marche aussi en voiture : sur une route sinueuse, je prends le volant pour éviter d’être malade. Il ne m’est arrivé qu’une seule fois de vomir à la barre, dans les Caraïbes, de nuit, et ça bougeait vraiment beaucoup, mais j’ai juste vomi dans mon seau et repris la barre, ce n’était pas trop horrible.
Dans le lot « psychologique », tout ce qui peut rassurer est bon à prendre. Je ne crois pas à l’homéopathie, mais j’ai toujours pris trois bonbons granules d’homéopathie que MamOdile nous avait refilé juste avant chaque nav, au pire c’est un peu de sucre, au mieux une partie de mon cerveau va y croire. Les bracelets qui appuient sur un point d’acupuncture peuvent aussi très bien fonctionner, surtout si on veut bien y croire un peu. L’auto-persuasion est redoutable : « c’est cool, cette fois je ne vais pas être malade, tout est bien prêt, on va faire une belle nav ». Être occupée avec des loulous, ne pas avoir le choix, ça peut aider aussi (même si je dois bien avouer que le terrain de jeu qu’on a exploré avec les loulous n’était pas des plus houleux).
Côté pratique
Si ça doit sortir, faut laisser sortir. Ne pas retenir un caca sous prétexte que la salopette c’est compliqué à enlever et qu’il faut faire 3 mètres pour aller jusqu’aux toilettes (donc y aller avant que la méga flemme s’installe). J’ai trouvé ma meilleure position pour vomir : à 4 pattes dans le cockpit au-dessus d’un seau, en essayant de relâcher les muscles au maximum.
Côté pratique encore mais super important, il faut manger. Oui, ça va probablement ressortir bientôt, mais 1. si 10% restent c’est déjà ça de pris, ça fera un peu d’énergie, et 2. vomir sans rien avoir à vomir c’est horrible. Le souci c’est qu’on n’a aucune envie de manger quand on est malade. J’en ai payé les frais, en refusant de manger alors que Tomtom essayait par tous les moyens de me gaver, dans la traversée jusqu’aux Scilly. Une fois à terre, je me souviens avoir senti mon cœur s’emballer après une petite montée de rien du tout. Du jamais vu pour mon cœur qui bat tout doucement, j’ai compris plus tard qu’il n’avait plus aucune ressource à refiler au sang tout neuf censé alimenter mes petits muscles. Ptêt ben que j’aurais mieux fait d’écouter Tomtom.
Ma stratégie pour manger : partir le ventre plein (tant pis si ça prend 30 minutes en plus, on mange avant de partir, en plus ça me rassure) et avoir de quoi manger en continu. De la nourriture pas trop goûtue : des pâtes sans rien, du riz sans rien, du pain sans rien, une carotte à croquer, disponible dans une assiette dans le cockpit, froid, c’est pas un problème. J’en prends une petite portion dès que je peux, ça met 5 minutes à mâcher mais ça passe, et tant que ça descend rien ne remonte. Ça demande un peu de motivation à chaque cuillère mais ça paie à court et à long terme. Et c’est moins intimidant de manger une cuillère de temps en temps que de s’attabler devant un gros repas.
Le confort évidemment aide beaucoup : ne pas avoir froid, être relativement bien installé dans un bateau qui bouge, ça ne peut pas faire de mal. Ce qui veut dire qu’il faut préparer des épaisseurs en plus avant de partir, tant que c’est facile (parce qu’une fois maladou, c’est difficile de se motiver et la recherche d’un pull dans un placard augmente considérablement le risque de vomir). Si on a de la chance on peut compter sur un coéquipier attentionné qui apportera tout ça, mais bien souvent ledit coéquipier a déjà un bateau à gérer…
Pas trop d’activités
Ne pas jouer aux super-héros. Ce qui veut dire demander de l’aide même pour des petits trucs, et même si le coéquipier est déjà occupé (Tomtom tu peux me donner le pull que j’ai mis sur la table à cartes ? Tomtom tu peux me donner un morceau de pain ? Tomtom tu peux m’attraper une bassine au cas où pour me rassurer ?), surmonter la flemme de demander. Les deux premiers jours de nav, je ne fais pas du tout la cuisine.
Ne pas se croire capable d’en faire des tonnes quand ça commence à aller mieux : je me souviens d’un moment où Tomtom m’a demandé de l’aide pour une manœuvre. Il fallait une personne à la barre et une personne à l’avant pour s’occuper des voiles. Tomtom avait prévu que je prenne la barre pendant qu’il faisait le zouave devant avec les voiles, là où ça bouge plus, mais j’ai dit « non non, ça va, je suis plus trop malade ». J’ai fait la zouave à l’avant avec les voiles, et 30 secondes après être revenue dans le cockpit fière de moi, rvloafff, un seau rempli.
Dormir. Ou au moins s’allonger et fermer les yeux, tout habillée plutôt que de prendre le risque de se sentir mal en se déshabillant : le cerveau n’entend plus que l’oreille interne, qui ne contredit plus rien. Ce n’est pas la première solution que je préconise, je préfère de loin la barre, car le sommeil ne réduit pas beaucoup les symptômes au réveil, et une fois allongée les symptômes de méga flemme s’installent, mais comme il faut aussi récupérer, c’est bon de savoir qu’on ne sera pas malade en dormant.
Et les médicaments?
J’en ai testé, des médicaments. La plupart, des anti-histaminiques, plusieurs sortes car on n’est pas tous réceptifs aux mêmes anti-histaminiques. Mais j’ai un gros souci avec les anti-histaminiques : un des effets indésirables, que je choppe à chaque fois, c’est la grosse flemme – déprime. Non merci…
Sans compter qu’une fois le petit cachet vomi, il ne peut plus trop faire effet.
Ceci dit, le Stugeron, interdit dans certains pays mais très légal et abordable dans d’autres, fonctionne très bien. Mais comme ce n’est pas très facile à trouver, on a toujours préféré le garder pour les cas où tous les remèdes listés au-dessus ne fonctionneraient pas, pour les grosses mers qu’on n’a pas vraiment rencontrées, et pour se rassurer : « au pire il y a du Stugeron dans la table à cartes, ça va aller on va s’en sortir de ce mal de mer ».
Avec le temps va, tout s’en va
Et pour finir, la bonne nouvelle, c’est que ça passe. Deux jours en général, trois parfois, et je suis prête à surmonter des mers pas joli-jolies et à découper le poisson sur la jupe. On privilégie les traversées un peu longues (plus de trois jours) par rapport aux traversées courtes vu que j’ai plus de chances de les apprécier, au bout de deux jours.
Une balade sur la terre ferme me remet d’appoint très rapidement, mais je préfère ne pas trop envisager cette solution, car souvent elle n’est pas disponible rapidement…
Voilà pour les conseils de Clairette, accumulés au fil des lectures et de l’expérience. Je n’ai pas l’ambition d’éradiquer mon mal de mer, mais je sais que le tenir en respect c’est possible et je ne suis pas peu fière de tous les petits gestes que je fais consciemment et qui sont des victoires, pour le moins, sur les symptômes de déprime qui s’installent avec le mal de mer. Et vomir ce n’est pas la fin du monde, il faut juste remanger et ça ira mieux bientôt.
Edit: un article scientifique trouvé par Salomé, en anglais, pour ceux qui voudraient en savoir plus. Je me demande quels fous ont bien voulu faire les cobayes humains pour tester le mal des transports… Lackner JR. Motion sickness: more than nausea and vomiting. Exp Brain Res. 2014
Merci Claire, je suis en grande admiration devant toutes mes amies (et va savoir pourquoi ça semble toucher les femmes plus que les hommes ce foutu mal de mer) qui ont persévéré dans leur voyage malgré un mal de mer carabiné. Ça prouve que ça vaut le coût et je suis bien d’accord avec toi, que chaque petite victoire compte et avec le temps tout passe.
Il y a une belle place pour toi dans le club de celles qui maîtrisent leur mal de mer ! Et merci pour l’article :)
Eh ben, quelle analyse ! Il te faut quand-même du courage pour surmonter ce problème.
Je retiens le risque sur le bateau, qui laisse le capitaine dans des moments de solitude qui pourraient être dangereux pour l’équipage, s’ils se produisent dans des conditions météo compliquées, un peu trop longtemps.
Un autre Thomas – Coville – a peut-être trouvé une autre solution au mal de mer avec son bateau qui ne touche plus l’eau : voler à 45 nœuds, ça doit moins brasser dans les vagues ! Lol.
Oui mais il est fort mon capitaine… (ce qui n’est pas une raison pour lui faire faire de la navigation en solitaire !)
Je doute que Schnaps, même avec des foils, arrive à s’envoler ou à faire 45 noeuds… et il y a moyen que ça soit un peu brital à ces vitesses !